Engloutie

Il pleut. Désespérément. Le ciel est plombé comme le toit d’une cathédrale. On pourrait presque le récupérer pour en faire une oeuvre kieferienne. Mais des livres de plomb risqueraient de me saccager le moral, et ça, j’ai pas envie. Alors je pars en balade.

Le bien de la terre ici, c’est qu’elle absorbe, et que le sol du bois recouvert d’un plus ou moins épais tapis de feuilles mortes ne fait que très peu de boue. Alors il peut pleuvoir pendant des heures, un rayon de soleil est une invitation pour s’enfoncer entre les arbres sans patauger dans la gadoue.

Le choc, là au droit du coeur, toujours plus fort chaque fois. Je tombe, je m’enfonce. Sans passé ni avenir, l’unique instant ondule et tournoie. Cet étrange miroir que je traverse, ce moi autre qui exulte en tremblant dans sa tête. N’être plus qu’un soupir. Si je vous dis J’ai aperçu une fée posée sur une feuille d’érable, vous ne me croirez pas. Je ne me suis pas crue et ai poursuivi mon chemin, c’est seulement un mètre ou deux plus loin que mon regard, resté en arrière, m’a avertie que. Non nonnonnon, c’était juste autre chose. N’est-ce pas ? Les pas se sont fait hésitants le temps d’une idée photo. Ridicule, ça ne se numérise pas une fée. Vous n’aurez pas de preuve. Mais c’est le genre d’affirmation qu’on croie aisément sur parole.

L’énergie du bois ne laisse aucun espace vide, même l’air est saturé de plénitude, et la beauté vous cogne dans le corps et vous vous demandez comment vous ne tombez pas pour de vrai tant le vertige est tentant. Je suis passée ici la semaine dernière et rien n’était pareil. Oui, je reconnais l’arbre pieuvre, le grand ibis, la Centaure, l’arbre tournant et les autres, mais le décor est différent. Le bois se métamorphose dans une effrayante frénésie de vie. J’ai suivi l’étroit chemin bordé de délire floral, les jambes frôlées par le peuple des marges, puis j’ai bifurqué et descendu jusqu’au sentier Marie, pensant voir des bébés merles qui trainaient souvent ici l’an dernier. Arrivée au bout, à deux pas de la mer, j’ai fait demi-tour, quand on nage dans le grand bleu, remonter à la surface peut provoquer une sensation de vide désagréable. Au creux du bois, je suis encore comme un poisson dans l’océan. Alors j’ai quitté le sentier et je me suis enfoncée dans les feuilles les ronces les herbes hautes mêlées aux fleurs bleues et blanches, les premières craquelées et sèches arrivaient presque en haut de mes bottes, j’évitais les secondes du mieux que je pouvais, et je marchais sur la pointe des pieds pour ne rien écraser. Un leurre. Un jeu dansant, un gage si tu fais un faux pas, les ronces se chargeront de t’en faire passer l’envie. Savoir oeuvrer dans le silence et la lenteur mesurée est ici un atout qui calme mon agaçant penchant à la rapidité que la ville m’a appris. Respiration.

29 avril 2018

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