Elle était moi

Sait-on jamais ce qui nous est

Il était une fois une bulle de liberté que j’avais emprisonnée. L’histoire s’arrête ici. Quand l’autre continue.
Elle est venue me traverser en songe “puisque c’est l’endroit où tu t’es repliée” me dit-elle, glissant sous ma peau son sourire ardent. Puis elle s’est déployée repoussant d’un enivrant soupir les cloisons de mon rêve, et de toute son ampleur je l’ai vue rayonner comme une bulle de joie, fileuse d’une plénitude incarnée devant moi, dérisoire.

Elle s’est penchée vers moi, m’a prise dans sa main, niant les apesanteurs qui me tenaient en corps. “Maintenant, vois, ouvre-toi, décolle-toi de tes adhérences, fais danser ton esprit. Et retiens que je ne suis qu’une possibilité de toi, je te porte là où tes désirs te mènent, je n’engendre rien qui ne te soit intime.”
J’ai vu l’horizon se rapprocher de nous, perdre de sa raideur, se mettre à serpenter puis s’enrouler sur lui-même. Quand nous fûmes au bord de l’abîme, le vent de la peur me fit me recroqueviller dans le creux de sa paume. “Redresse-toi et regarde !”, ce disant, elle tendit la main dans laquelle je tanguais et me cramponnais comme une naufragée larguée aux débordement de flots déchainés. L’océan des mondes se déroulait devant nous, autour de nous, j’avais l’esprit au bord de la rupture tant battait l’anarchie des sentiments contraires. Les doigts de bulles s’ouvrirent davantage comme une offrande. “N’aie pas peur”, pensa-t-elle si fort que trouble et bouleversements s’estompaient. Je sentais s’enrouler autour de moi des filins d’or et de vermeil. La main de Bulle se rétracta pour me lâcher et je fus soulevée au-dessus du gouffre étoilé. “Sois”, m’ordonna la voix. “Vois. Emplis-toi des images puisque tu les aimes tant. Celles-là sont éphémères” J’étais devenue un pantin qui voyageait dans un non sens un non monde une absence. “Qui te parle d’absence alors qu’il s’agit de pure présence à soi comme à l’immensité ?” Elle me toucha de son index et je fus déchirée par une décharge si vivifiante que je me liquéfiais avant de sentir mon corps reprendre une vague consistance. La voix me demanda : “Qu’as-tu vu ?” Je ne savais pas, cela me dépassait, trop à voir trop vite… “Exactement, ça te dépasse et tu n’aimes pas être dépassée alors tu ne vois rien, tu ne sens rien, tu ne fais qu’aligner des mots sur des plages de toi que tu ensables à grandes pelletées de certitudes.” A travers mon souffle épuisé, j’assurai que j’étais dénuée de certitude. Je fus alors secouée si violemment que j’avais l’impression de me désagréger en furtives particules. J’étais anéantie. “Tu penses anéantissement, alors qu’il s’agit d’épanouissement” Je suffoquais, j’essayais de me débattre mais cela resserrait les liens. “Rappelle-toi que je suis toi et que tu restes maitre de ce que tu choisis d’être” Je veux rentrer chez moi. L’espace vibra d’un rire cristallin. « Mais tu es chez toi, tout cela c’est chez toi, pourquoi restes-tu attachée alors que tu peux te libérer toi-même ?” J’arrêtais de me débattre ce qui dénoua mes liens et mon regard, j’étais dans l’ineffable et ne souhaitais plus m’en abstraire. “Viens, maintenant, ni toi ni moi n’irons plus loin” Je résistais mais c’était peine perdue, j’étais de nouveau dans la main de Bulle. Je vis l’horizon reprendre sa place, comme une frontière désormais inéluctable. Je demandais à Bulle pourquoi, elle, si magique, ne pouvait pénétrer plus loin en ce monde que nous venions d’effleurer. “Pour un sourire perdu” me répondit-elle dans un éclat de douceur. J’aurais voulu comprendre ce qu’elle voulait dire par « sourire perdu », mais elle ne me laissa pas le temps de le lui demander. “Cesse, maintenant de te replier sur des chimères, de me créer pour mieux me faire éclater dans les impasses de tes retenues. Je vais te laisser là, prends soin de ce sourire, il est la clé pour te trouver toi-même.” … je souhaitais tant la retenir mais elle avait disparu comme un joyeux tourbillon.

Voilà, cela s’est passé il y a bien longtemps. Lorsque l’envie d’être un peu Bulle vient me caresser d’une lente et douce invasion, je dis haut et fort n’avoir aucune certitude et je sens une petite décharge au creux de mes entrailles qui me fait sursauter même si je m’y attends. Quant au sourire, ce joli cadeau de la vie, il est devenu mien prenant racines jusqu’au plus profond de mon être, là où se défient mes précieuses vulnérabilités.

septembre 2015

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