Le bocal aux oiseaux

Livres, petits livres, mini livres, me voici maintenant à fabriquer des micro livres, des micro posters, des micro cubes. Quand je pense qu’il fut un temps je voulais faire des fresques gigantesques. Bonomeville devait s’étendre sur tout un mur à défaut de la toile galactique. Mais prenez donc une loupe, je vous en prie. Nous n’en sommes pas encore au microscope. Vraiment ? C’est que vous ne pouvez les voir. Le livre puce ne risque pas de vous sauter à la figure. De proue, il creuse et défie le temps de ces innombrables petites traces parsemées comme des graines au vent. Au moins je n’écris pas à la main comme Robert Walser*, ni au crayon, heureuse celle (moi, en l’occurrence) qui n’aura pas à déchiffrer mes histoires de centaure ou de miroirs vibrants, de paradis débauché ou de folles échappées hors des sentiers battus. Ici commence la sérénité. Vive le livre léger qui s’envole dans le vent et s’égaille dans les bois enchantés. Origine, tout revient à l’origine.

Mais qu’est-ce ? J’ai commandé une maquette à construire, une bibliothèque miniature à glisser entre les livres dans une bibliothèque grandeur nature (là où bien sûr elle ne sera pas placée). Une idée derrière la tête. Tout est livré, la structure et les pièces détachées attachées en plusieurs plaques qui serviront à construire les meubles, les murs, les rambardes, l’escalier, et les objets à placer dedans. La galère à monter, c’est vous qui fournissez, travail minutieux exigé. Des livres donc. J’y ai sitôt vu l’occasion d’y mettre partie de mon monde à la place des tableaux (toutefois, j’ai gardé un Turner), à la place des pages des livres fournies, j’y ai mis mes pages tirées du labyrinthe ou du journal du bois, quelques photos puisées dans mes archives, dont celle du chat pirate du bois, j’ai remplacé les affiches et posters par mes propres affiches et posters, j’y ai même placé un grand poster miniature constitué de maintes images sur l’enfance de mes enfants avec la famille autour.

Que m’est-il donc passé par la tête ? Il faut savoir que je suis fan, fascinée, amoureuse des boîtes-en-valise de Marcel Duchamp, composées des oeuvres de Duchamp en modèles très réduits. Prenez Le Grand Verre, cette Mariée mise à nu par ses célibataires, même, qui m’obsède un tantinet pourrait-on dire, allez savoir pourquoi, depuis que je l’ai vu au centre Pompidou lors de l’exposition rétrospective de l’artiste, je pense même avoir vu la réduction de l’oeuvre avant l’oeuvre elle-même. «Tout ce que j’ai fait d’important pourrait tenir dans une petite valise », a dit l’artiste, et je ne vous explique pas le sourire intérieur (et peut-être extérieur) qui m’advient chaque fois que je fouille du regard une de ces boîtes-en-valise. Et j’en ai vues pas mal, je me suis déplacée pour en voir et revoir (musée, galerie). J’ai même failli en demander une reproduction au père Noël (oui oui, ça existe). Bah bah bah.

Alors ma tendance à réduire, elle vient peut-être parce que j’aime les petites choses qu’on peut mettre dans la poche. Des petites choses qui s’additionnent et forment un univers expansif. Des petits atomes de rien, comportant la vie qui gravite autour de moi qui ne suis peut-être constituée de rien d’autre qu’un peu d’encre et de sève dans mes meilleurs moments. C’est peut-être ça. C’est peut-être aussi pour ça que j’aime plonger dans le bois lorsqu’il a fait le plein de feuilles et que je coule des jours heureux dans ses vertes abysses, alors que le monde estival est à la plage, baignant dans d’autres molécules. Le petit fait le grand. Et j’ai du goût pour l’immensité.

Voici donc l’objet. Et y a même la lumière. Cubes, dessins, panorama du bout du bois, posters, livres, affiches, photos, les cartes postales de la correspondance de Loretta et Cyprien, le tapis devant la cheminée est une photo de la mare du jardin, le feu, celui de notre cheminée. On est encore dans le labyrinthe, c’est peut-être la maison du gardien. J’imagine que les pholques ne manqueront pas de visiter l’espace. Ça finira par devenir une bibliothèque hantée, un nouveau bocal aux oiseaux, quels qu’ils soient, d’où qu’ils soient, où qu’ils aillent.

*

Microlivres en cours de confection

*

* Référence aux microgrammes de Robert Walser. Cinq cent vingt-six feuillets couverts d’une écriture minuscule au crayon ont été retrouvés dans les archives de Robert Walser. La précision, l’élégance de leur graphisme les désignent comme un chef-d’oeuvre de calligraphie. Déchiffrés, puis publiés au prix de vingt ans de travail, ils ont révélé un pan bouleversant de la création du grand écrivain suisse: proses, poèmes, roman, scènes dialoguées, aboutis dès leur gestation, cueillis à fleur d’improvisation.

16 commentaires sur “Le bocal aux oiseaux

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  1. Superbe! ainsi tu es toi aussi fascinée par l’anartiste Duchamp. Figure-toi que c’est ma grande monomanie depuis longtemps et j’ai reçu sa boîte en valise! Je crois que je réussis à le placer dans la plupart de mes chroniques…

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    1. C’est amusant de se rencontrer là-dessus. Je suis allée au MAM, jeudi, voir une exposition (Anna-Eva Bergman), figure-toi qu’ensuite je suis descendue du côté des collections permanentes du musée. Pour voir quoi ? Les nouvelles installations bien sûr mais en particulier voir si leur boîte en valise était de nouveau installée, j’aurais aimé y voyager un peu. J’en avais besoin, on ne voit jamais de la même façon, je voulais voir où j’en étais. Les collections changent, ce qui est bien, mais j’aimerais que cette boîte reste toujours visible. Et je ne la vois plus depuis un certain temps.

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      1. Oh j’aimerais explorer l’oeuvre de Anna Eva. Oui, cette boîte de Marcel est intemporellement inspirante. Si tu aimes son travail de « respirateur », je te conseille la bio de Bernard Marcadé, entre autres multiples publications.

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            1. Très intéressant ton article.
              Pour ce qui est de La raie alitée d’effets, je crois que tu ne trouveras pas grand chose sur internet, j’ai cherché hier. Je n’ai même pas trouvé le résumé de la quatrième de couverture, je te le copie : C’est par cette proposition mi anglaise mi française signED sign MD, simultanée, imprononçable et parlable, que se déplie en tous sens, Etant Donné(s) : Marcel Duchamp (1887-1968), artiste et anartiste français et américain, un dispositif général d’échangeurs et d’équations, une mise à nu de passages et de rymes (de langues, de textes, de lieux, d’époques, de sexes), selon des volets où le pictural et le littéraire sont complices : onomastique – signatures, pseudonymes -, autoportraits et ready-mades d’une part, d’autre part aphorismes – des premières caricatures aux dernières Notes – dont sont offertes une édition complète et une analyse détaillée, avec renvois, de chacun d’eux. Di.Re, son NON, dit Rrose Sélavy.
              Voilà !

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              1. Oulà! C’est vrai qu’il a joué avec les mots aussi bien français qu’anglais. Ce qu’il appelle pour ses œuvres, le nominalisme pictural. Merci pour la transcription 😊. Il existe un livre qui décrypte son travail avec pertinence, en particulier le Grand Verre. C’est « Marcel Duchamp par lui-même ou presque » par Alain Boton. Mais tu préfères peut-être garder le mystère?

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              2. De mystère je ne veux jamais garder. Mais j’ai beaucoup beaucoup (ça veut dire trop) de livres en attente de lecture(je note quand même), et je me suis acheté sur liseuse la bio que tu m’as conseillée.
                Ce livre La raie alitée d’effets est sans doute passionnant pour qui veut de s’y pencher, s’y perdre ? l’étudier, enfin pour qui a le temps aussi.

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