Hier nous parlions de silence. Elle disait qu’elle aimait entendre le hululement des chouettes hulottes la nuit. Sa compagne s’est exclamé que ça lui glaçait le sang. J’ai parlé de la sérénité qui épuise soudain les angoisses quand la nuit s’écarte sous le cri des hulottes. Nous étions d’accord, elle beaucoup moins. Pas de hulottes en ce moment, les mots sont aussi de bons écarteurs de rondes d’idées tordues.
Au moment où j’écris ces mots, la nuit est pleine, dense, opaque. Un trou noir de l’autre côté de la fenêtre, une béance défiant l’imagination. Pas la moindre fantaisie sonore. Il y a notre respiration, peut-être que les oiseaux s’éveillent quelque part. Ici rien. 6h09.
Le pan de falaise s’est donc effondré. Ce fut lourd, violent, une terre qui tremble. Le blockhaus est suspendu dans les airs, s’il tombe il entraîne la rue avec lui, dit-on. Cette rue qui donne sur le chemin qui relie le bourg au bois. Vivre au bord des falaises s’est toujours se cogner à la fatalité. Les bosses font très mal parfois. Le monde entre terre et mer s’effrite, nombreux touristes, c’est Pâques, la reprise d’une vie qui s’éclabousse d’elle-même. Les joies compulsives.
6h14, un oiseau s’est éveillé. A peine.
Hier le bois était envahi. Promeneurs, curieux, automobiles, motos. Je me souviens lorsque je suis venue la première fois. L’émerveillement, il fait toujours ce coup-là. Puis on repart, on oublie, on reprend sa vie en ville. Aujourd’hui je suis devenue une partie du bois. Il m’habite, il m’habille de ses poussées de sève, de ses petites morts nourricières. J’y suis de passage comme la vie qui s’y joue. Un souffle à l’écart. Une complicité tacite. Une guêpe dans la mare, les deux premiers gerris, une grenouille cachée, des centaines de têtards libres. Les oiseaux tout autour. Nous avons pu enfin profiter du soleil. La glycine et ses gros bourgeons pleine de l’empreinte à venir de la guêpe charpentière, cher petit fantôme dont le bourdonnement fort et grave me réjouit.
6h22, le merle donne le coup d’envoi de la journée nouvelle.
Nous étions bien hier, dans le café qui ne désemplissait pas, terrasse chargée, face mer. Cris des goélands. Nous étions bien avec elles. Le demi de bière me tournait légèrement les pensées. Des sourires, des rires, la patronne derrière le comptoir, débordée. Elle essuie les verres. Fait couler les bières. Belges. Petrus, Bavik. Lui est venu de Belgique, le village lui a plu, le jeune femme aussi, il est resté. Ils prennent leur retraite dans quelques semaines. Ils ne feront pas l’été. Ce sera autre chose, pour eux pour nous.
Et pour les falaises. La mer ne changera rien à ses habitudes, ses va et vient, ses changements de couleurs, ses sautes d’humeur, ses assauts et ses douceurs salées, sa patience aussi. Deux restaurants de plus pour le bourg c’est bien, nécessaire.
Tous les quatre, nous lançons des sourires aux temps à venir. Notre été sera beau. C’est ce qu’on lit à travers nos mots, nos échanges de regards, nos projets. Le patron s’est assis devant un verre de bière sur une des chaises de la terrasse qui s’est vidée. Son regard est parti rejoindre la mer et l’horizon. Ses deux chiens attendent que les derniers clients se lèvent. La patronne essuie les derniers verres, en papotant avec nous. Journée éreintante. Ils partent en Bretagne.
Le blockhaus reste suspendu là-haut. Le haut de l’église pourrait bien tomber aussi, pierres disjointes, ça s’effrite et la mer n’y est pour presque rien. Nous sommes passés du côté des beaux jours. On y croit. Le soleil s’est couché sous les regards des smartphones. Photos bateaux pour levers d’ancres des souvenirs.
Beau bout de rêve en falaise.
Ici, des arbres se sont effondrés sous le poids de la glace.
Le monde bouge. Et les nuits font pareil.
Merci pour la beauté, ‘vy. Et la manière.
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Je me rends compte ici à quel point les arbres sont fragiles. Ils me paraissaient plus solides en ville.
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Un fantôme passe. Merci pour tes mots, tes images, tes peintures de Cise et des ses alentours.
Les crabolèpidoptères sont de sortie.
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Oh cher fantôme crabolépidoptèrien, que ça me fait plaisir de te lire.
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