Les oiseaux me conjuguent au présent

Il est un moment où ni le passé ni le futur ne viennent surcharger les engrenages désordonnés de mes pensées, un moment de pur apaisement, c’est lorsque je regarde la vie de mon jardin. Ce monde qui évolue sous mes yeux, sans doute, sans plainte, avec courage et volonté, en complicité parfaite avec le temps, ces moments dont j’ai la chance d’être témoin m’apprennent la présence immédiate et me touchent infiniment. Ils propulsent un lâcher-prise, une captation instantanée, une vision de la réalité qui met à mal bien des incertitudes. C’est là que j’appréhende la liberté dans toute sa puissance et sa nécessité. J’apprends.

Des merles, j’en ai vus passer en mon jardin, j’en ai connus des philosophes, je n’oublierai pas mon cher Plume blanche qui un jour n’est plus revenu, laissant sa merlette sans mâle à quelques jours du printemps. Elle s’est alors occupée de virer les intrus et a fini par trouver le bon compagnon. Les petits sauvages de mon jardin ne font pas grand cas de moi en général, sauf à prendre la fuite. Et c’est bien. Mais une fois Merlette a oublié ma présence humaine et s’est posée à côté de moi sur le dossier du banc face à la mare aux grenouilles. Quelques secondes de proximité, elle s’est envolée lorsque j’ai lentement tourné la tête vers elle, échange de regards, ce fut un ravissement pour moi, un instant d’émotion, le monde du jardin m’avait intégrée dans son paysage.

Il y a un bout de temps que je veux partager et surtout garder ici ce texte de Fabienne Raphoz que j’ai découvert dans le livre Une pluie d’oiseaux, de Marielle Macé. Il me parle tant, c’est tellement ça :

« Le merle de mon jardin est un oiseau commun
       mais c’est le merle de mon jardin ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
      mais j’ai aussi treize manières de le regarder ;
le merle de mon jardin est un oiseau commun
       mais il est à lui seul le voyage tout entier ;
le merle de mon jardin n’est ni le ciel ni la terre
       mais il les réunit ; (…)
parfois je suis un peu le merle de mon jardin
       car je le suis des yeux ;
ainsi, pour le dire autrement, l’oeil du merle de mon jardin et mon regard ne font qu’un, mais j’ai moins d’acuité pour observer le merle de mon jardin
       qu’il n’en a pour me regarder depuis le pommier ;
(…)
le merle de mon jardin se tait à la mi-juillet
       mais garde son sale caractère — je l’appelle souvent the pipipissed off merle de mon jardin parce que j’ai un rapport passionnel avec la langue anglaise et le merle de mon jardin ;
(…)
       Ceci étant :
       le merle de mon jardin n’est sûrement pas mon merle, comme mon jardin n’est finalement pas mon jardin mais le monde du merle de mon jardin et de quelques-uns, pendant l’été, pendant l’hiver, par instants ou bien alors, durant toute l’année, comme le merle de mon jardin : le milan, la buse, le faucon, le martinet, le coucou, le pic, la corneille, le geai, la pie, la pie-grièche, le rougegorge (…) le hanneton, le bousier, le taupin, le gendarme, la punaise, le criquet, la sauterelle, la guêpe (…) mais encore la verge d’or,  la gesse, la balsamine, le trèfle, l’oeillet, la centaurée, le millepertuis, la carotte sauvage, le coquelicot, la reine-des-prés (…) et tous les autres, que je n’sais même pas nommer, que j’n’ai même pas vus ou que j’ai acclimatés à mon jardin à l’inverse du merle de mon jardin qui lui a choisi mon jardin. »

3 commentaires sur “Les oiseaux me conjuguent au présent

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  1. « nos » jardins, ces lieux de visites, d’accords et de regards. Après des années d’observations, j’ai moi aussi fini par comprendre que le jardin n’était plus « mon » jardin (surnommé le Petit Versailles : mes voisins le trouvent très laid – comprendre touffu, « sauvage », non tondu), mais un espace partagé, autant avec les oiseaux qu’avec l’épeire diadème qui réapparaît au printemps sur son énorme toile entre l’olivier et le cyprès, qu’avec le chiendent, l’empuse, le vent, la pluie. Fabienne Raphoz, j’aime beaucoup, beaucoup.

    Aimé par 1 personne

    1. Mes voisins doivent penser la même chose de mon jardin punk. Alors je leur parle de vie, ils comprennent ou pas, peu importe. Dire ‘mon’ m’a gêné un temps, mais je n’y mets guère d’esprit de possession, c’est un mon de tendresse, de complicité avec ce petit monde, d’amour reconnaissant.

      Aimé par 2 personnes

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