Hubert Mingarelli

J’ai beaucoup lu Hubert Mingarelli (1956 – 2020), découvert avec Marcher sur la rivière au moment de sa sortie en librairie, j’ai chaque fois été très sensible à son écriture, ses récits pudiques, intimes, où le silence est roi. Pour la beauté et l’apaisement, pour les liens humains qui se tissent ou pas. H.M. va à l’essentiel très justement. Il nous (re)parle d’hommes, plus rarement de femmes, qu’il fait bon accompagner. Si aujourd’hui j’en parle c’est que je pensais avoir lu à peu près tout de lui et que je suis tombée sur un livre qui m’était inconnu, Une histoire de tempête, il s’agit d’une brève rencontre d’un homme sur une digue avec un autre homme qui veut sauter à la mer. L’un cherche la solitude nécessaire à l’écrivain, le second veut se délester de l’histoire de sa vie avant de la quitter, le premier n’entendra rien ou presque, on ne se suicide pas pour la mort d’un cheval, il réfléchit aux trois pages qu’il vient d’écrire dont le personnage principal le préoccupe bien davantage que cette rencontre impromptue. Plus tard sans qu’il sache trop pourquoi (à moins que la photo de l’enfant que l’autre lui a montrer ne le perturbe sans qu’il se l’avoue ?) il éprouvera un peu de culpabilité très fugace, avant que la tempête surgisse. Cette drôle de rencontre qui n’en est pas une. Ce délestage d’un drame qui soulage mais aussi pourrait empêcher l’autre drame de se produire. Ces mots qui vadrouillent entre les deux sans qu’aucun lien ne se tisse, c’est un peu comme le lait des étoiles…

« – J’avais peur de vous ennuyer. Je suis venu et je ne le regrette pas.

Je n’ai pas su quoi répondre. Je lui ai souri d’un air entendu. Ensuite il a fait allusion à ma plaisanterie de tout à l’heure.

– Je coulerai moins vite, ce sera plus difficile, mais je suis content, il y avait longtemps que je ne parlais plus. »

Plus tard il y aura un peu de culpabilité très fugace chez l’écrivain, avant la tempête.

*

Pour une amie et pour ceux n’auraient pas encore lu Hubert Mingarelli, voici quelques choix que j’avais faits en 2007 pour un article de blog.

Marcher sur la rivièreQuatrième de couverture : « Je ne vais pas mentir à propos de ma jambe. Je n’ai pas envie de me faire plaindre en disant qu’elle me faisait mal. Parce que, aussi loin que je me rappelais, ma jambe ne m’avait jamais fait mal. Elle ne m’empêchait pas non plus de marcher aussi vite que n’importe qui. Peut-être même que je marchais plus vite que la moyenne des gens. […] C’était pour être le moins longtemps possible ridicule à marcher de la sorte, en me déhanchant à cause de ma jambe droite qui était raide depuis toujours. […] Je marchais comme un demeuré, quelqu’un qui aurait eu un problème dans la tête. Mais je n’avais pas un problème dans la tête. J’avais seulement que ma jambe refusait de plier. Voilà tout ce qu’il y avait, ma parole. »

Un langage simple comme le regard d’Absalon dans l’univers aride qui retient cette histoire. Et cet Absalon nous devient de plus en plus attachant au fil des pages. Absalon veut partir, partir pour soigner sa jambe, partir loin, à Port Elizabeth, seul nom repère géographique de l’histoire. Absalon ne lésine pas sur l’effort pour se payer une place dans le bus. Dans sa vie, il y a Rosanna, une fille un peu bizarre avec des sautes d’humeur, le père  d’Absalon qui n’a pas l’air de l’entendre et qui passe son temps à aplatir des boites de conserves vides pour en faire des tuiles pour son toit, Emmeth, son ami qui le reçoit toujours avec plaisir et vend de l’essence, le pasteur qui veut se faire pardonner, et sa femme, madame Lithébé, bien gentille et qui sent bon, l’épicier, un lapin, le préposé au guichet de la station de bus, et puis Georges Msimangu, le fou de la colline qui creuse un trou dans le désert près du lit de la rivière et fait travailler Absalon. Tout ce monde semble un peu immobile, suspendu au temps, à la sécheresse, au vent qui change, au ciel qui attend, seul marche Absalon et roulent les voitures. Car Absalon, même s’il n’aime pas qu’on le regarde marcher, même si sa jambe ne lui fait pas mal mais se raidit tellement qu’elle devient un fardeau encombrant, Absalon marche beaucoup. Et pendant que nous courons après Absalon parce qu’il est difficile à suivre, ses paroles nous tiennent compagnie, elles nous sont rassurantes, l’homme est tellement présent.

La beauté des loutres (2002) – (POINTS)
Quatrième de couverture : Quelque part en hiver, dans l’Isère ou la Drôme, Horacio et son jeune aide, Vito, se lèvent un peu avant l’aube pour charger des moutons sur un camion à plate-forme, avant d’aller les livrer de l’autre côté de la montagne. Le voyage est long, il faut franchir un col avant la nuit. Pour dissimuler leur angoisse grandissante, les deux compagnons parlent des loutres qui sont si belles dans l’eau et si difficiles à entrevoir.
Un dialogue lourd de tensions et d’émotions retenues, et un périple sur les pistes enneigées au terme desquels Horacio et Vito ne seront plus tout à fait les mêmes…

Une rivière verte et silencieuse (1999) – (POINTS) Un père et son fils habitent une modeste maison. Pauvres, ils gardent espoir et imaginent faire fortune en cultivant d’étranges rosiers. L’enfant vadrouille dans les hautes herbes dans lesquelles il s’est creusé un tunnel dont il se fait un refuge pour rêver à ce qu’il achèterait avec sa part de l’argent des rosiers… Et puis il y a les prières du soir, l’électricité coupée, les considérations d’un fils sur un père un peu paumé qui fait ce qu’il peut, raconte beaucoup d’histoires. Cet univers vu par les yeux tendres et naîfs de l’enfant tellement responsable.

« Les gens prétendaient que mon père était un raté. Ils omettaient de dire qu’il avait attrapé des truites bleues à la main. »

Quatre soldats (2003) – prix Médicis 2003 (POINTS) quatrième de couverture : Voici un récit comme aurait pu en rêver Hemingway, où les circonstances comptent moins que le désarroi moral, les tâtonnements, les dialogues de ces quatre soldats en perdition, issus de l’Armée rouge, qui sortent d’une forêt où ils viennent de passer un hiver terrible, pendant l’année 1919. Il y a la beauté des scènes muettes : réquisitions dans les villages, baignades dans un étang, embuscade. Il y a ce gamin, enrôlé volontaire, dont la présence irradie les quatre hommes car il est, semble-t-il, le seul à savoir écrire. Mais « le ciel est sans fin » et rien ne sera sauvé.

Mon préféré jusqu’à ce que je lise Hommes sans mère. Les personnages : Pavel, à la forte présence mais qui rêve que Sifra l’égorge la nuit. Pavel se moque toujours de Kyabine. Kyabine, avec ses yeux de débiles, fort et naïf. Sifra, le gentil Sifra qui remonte avec dextérité un fusil les yeux bandés. Et le narrateur qui accompagne Pavel la nuit lorsque celui-ci se réveille effrayé par son cauchemar. A la bulle de ces quatre soldat vient se greffer le gosse Evdokim, engagé volontaire, qui semble pouvoir relater l’histoire de ces soldats dans un petit carnet.

La dernière neige (2000) – (POINTS) quatrième de couverture : Une mère absente, un père malade et un fils livré à lui-même qui gagne un peu d’argent en accompagnant les personnes âgées, voilà la trame qui compose ce roman. Mais aussi une quantité de choses presque inracontables : un milan en cage mis en vente sur un trottoir, totem dont le jeune garçon imagine sans cesse la capture, une équipée dans les collines et la neige pour perdre une chienne qu’on n’ose pas tuer, des sensations de corps engourdi, des vêtements fumants près du poêle, des sanglots silencieux dans l’oreiller, des rêves d’enfant… Comme dans Une rivière verte et silencieuse, Hubert Mingarelli met ici en scène un père et un fils. Un fils qui, par son amour total, soutient et retient le père, lui rend sa dignité aussi. Un livre qui m’a paru dur, intransigeant, mais justement senti, où les sentiments sont aussi feutrés et crissant que les pas dans la neige.

Hommes sans mère (2004) – (POINTS)   quatrième de couverture : Pendant que leur navire est au mouillage dans une baie, quelque part en Amérique centrale, deux marins, Homer et Olmann, s’éloignent à pied sur une longue route, à la recherche d’un bordel isolé dans les collines. On devine peu à peu qu’ils cherchent à échapper à cette promiscuité masculine, imprégnée d’un goût de sel et de gazole, qui constitue la seule vie possible sur un bateau. Mais bientôt, Homer va rencontrer Maria… Après des romans qui se situaient dans des univers ruraux (Une rivière verte et silencieuse) ou historiques (Quatre Soldats, prix Médicis 2003), Hubert Mingarelli aborde pour la première fois les années qu’il a vécues à bord de navires de guerre, évoquant le thème universel des hommes livrés à eux-mêmes, sans mère. Les personnages d’Homer et Maria sont tellement existants, là dans les pages, on les entend sûrement respirer entre leurs mots, les non-dits, leur besoin d’amour. Deux êtres que tout séparent à jamais, dont le rapprochement luit simplement comme un petit morceau de verre qui descend le courant de la rivière.

« Les deux hommes d’équipage marchaient l’un à côté de l’autre et parfois leurs épaules se touchaient, alors ils s’écartaient, et puis au bout d’un instant ils se rapprochaient, et de nouveau ils se touchaient. » Ce rapprochement, cet éloignement pudique, leitmotiv dans le roman.

7 commentaires sur “Hubert Mingarelli

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      1. J’ai commandé, reçu et lu « une histoire de tempête ». J’ai bien aimé le climat mystérieux et l’art de la suggestion, les non-dits. C’est un beau livre et je vais lui consacrer un article de blog. Merci de me l’avoir fait connaître ! Bonne journée à vous !

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