De larmes et de rires

J’aurais pu intituler cet article « Clin d’oeil du parafer », vous savez cet endroit où j’allais toucher terre après une vie d’errance, où dans l’enthousiasme où je me trouvais je voulais faire danser les anges.

Les anges se sèchent les plumes auprès de la cheminée – la Picardie est un lieu de tempêtes et de déluges et une contrée oubliée du soleil depuis des mois – Je prends soin d’eux. Notre monde vaque à son occupation première, faire la vie.

« L’amour chez les anges et les oiseaux : interprétation, comparaison ». Un autre titre. Teddy RG attend mon arrivée tous les vendredi fin de matinée. Il est le premier. Il me fait la fête… hého, c’est pas un chien ! Rectification, je lui fais la fête « oh ben il est beau mon Teddy, t’es content de me voir, oh oui, mon bébé, mon ‘tit amour de Teddy ». Voilà, c’est à peu près ce qui se passe tous les vendredis à mon arrivée. Je dépose quelques graines décortiquées de tournesol et de cacahuètes écrasées, et Teddy se régale, avant les autres oiseaux qui ne tardent jamais à mettre en branle leur cirque autour de l’arbuste pourvoyeur de graines. Amour-nourriture, amour-vie, nourriture-vie, amour… c’est quoi l’amour ? L’amour chez les oiseaux et chez les anges, c’est d’abord faire la vie selon des règles. L’amour chez l’homme ? Vous savez fort bien depuis des lustres que lorsque vous dites « je t’aime », cela veut dire « aime-moi ». L’amour se prouve plus qu’il ne se dit. Loi universelle, l’amour se fait comme la vie. Teddy aime les graines de tournesol décortiquées, Merle aime les pommes (à la folie). Aimons-nous les uns les autres. Evidemment, sexuellement parlant, ça peut tourner à la débauche de vie au paradis, renvoi au texte premier. Moi ce que j’en dis… je constate, c’est tout. Mes anges et mes démons ont fait la paix depuis belle lurette et se sont libérés des impératifs dûs à leur condition. Qui ne s’est pas battu avec l’ange comme le fit Jacob pour dépasser ses limites et trouver la lumière ? (je vous renvoie au tableau de Delacroix en l’église Saint-Sulpice, et vous conseille le fort bon roman de Jean-Paul Kauffmann La lutte avec l’ange) Qui n’a pas fait l’amour avec ses démons pour les rapatrier dans un monde meilleur, celui de la sérénité ? Long chemin d’une vie qui n’a cessé de s’explorer, de se chercher, de s’expérimenter. Ici nous créons le monde.

Simple chez les oiseaux, on fait la vie. Et les oiseaux possèdent intelligence et mémoire. Une fois nous sommes arrivés avec deux jours de retard, Teddy m’a tenu un discours plutôt que de picorer ses graines. Je me retenais de rire. Sérieux le petit piaf, j’allais pas me moquer. Ti adoro amore mio. Je suis sensée comprendre quoi, moi, Teddy ? Je me garde bien de toute interprétation, j’aime penser que tu me racontais le bois, le vent, les trombes d’eau, ou bien simplement que tu me houspillais vertement pour mon retard. Mais moi j’ai pensé à toi durant ces dix jours sans te voir… A quoi pensent les oiseaux ? Comment la notion de temps vient-elle chahuter leur conscience du présent ? Quoiqu’il en soit et peu importe, j’ai littéralement fondu devant cette petite boule de plumes qui me déclamait ses cuicuis avec vigueur.

Je peux vous faire un inventaire des oiseaux de l’arbuste que j’ai transformé en arbre de Noël avec boules et autres gourmandises à base de graisses et de graines : six mésanges charbonnières, une mésange bleue, une tête noire, un couple de sittelles uni pour la vie (je vous dis pas les scènes de ménage auxquelles j’assiste parfois), un ménage à trois de pinsons des arbres (un mâle et deux femelles), neuf mésanges longue queue qui apparaissent subitement cinq ou six fois par jours et disparaissent aussi vite après avoir fait une razzia, un troglodyte mignon, une merlette, un merle et un rouge-gorge qui répond au nom de Teddy. Ce nombre ne varie pas, toujours les mêmes oiseaux, un équilibre s’est installé depuis l’automne. Si un autre merle vient y voir de trop près la merlette s’en charge. Si un autre rouge-gorge montre le bout de son bec, Teddy le conduit jusqu’à la sortie. J’imagine comment le printemps va me chambouler tout ça. Et puis, Teddy, t’es une fille ou un garçon ? Où feras-tu ton nid ?

Teddy vit sans soucis au milieu des autres oiseaux, mais il aime faire le brave en fonçant sur ses copains (il évite les merles tout de même), surtout sur les pinsons des arbres, parfois aussi sur les sittelles mais là, il semble que ce soit une erreur ou bien il joue à se donner des émotions fortes, sa respiration s’en trouve accélérée, son petit plastron rouge se soulève en un genre de « whaou, j’ai osé ! » Il poursuit aussi parfois les mésanges charbonnières, enfin si on veut, comme sur le gif ci-dessous, la mésange s’envole (elle devine sans doute que Teddy représente un gros danger) et Teddy, après réflexion, fonce vers l’endroit où elle se trouvait. C’est assez fréquent cette manière de foncer sur l’absent. Une petite terreur mon Teddy. En tout cas, lui et Merle sont des observateurs, ils peuvent rester à la même place très longtemps à regarder ce qui se passe autour d’eux.

Le printemps s’annonce déjà dans de minuscules changements, des chants un peu différents, on s’affaire davantage. Le merle, par exemple, je l’ai surpris sur une haute branche en train de s’exercer au chant. Bientôt terminé les « pouicpouicpouic », c’est du Mozart qu’il nous travaille, la flûte enchantée va bientôt résonner dans la forêt.

Mais le titre me direz-vous, pourquoi « De larmes et de rires » ? Près de chez moi, un arbre est tombé, déraciné, j’ai entendu sa chute comme un déplacement d’air à la fois sourd et puissant alors que la nuit était à la tempête. Impossible de voir dans le bois, nous nous sommes endormis des questions dans la tête. Partis tôt le lendemain avant que le soleil se lève, nous n’avons rien pu voir et ce n’est que le weed-end dernier que j’ai aperçu d’une fenêtre comme un amas de branches jonchant le sol du bois. Je me suis alors rendue sur les lieux, il y avait ce grand arbre racines en l’air, couché de tout son long, si grand vraiment, il avait emporté dans sa chute quelques jeunes arbres et semblait comme un doigt pointé vers ma maison. Je me suis avancée vers lui, j’ai pris quelques photos et puis je l’ai touché. Et quelque chose d’étrange est arrivée, une réaction à laquelle je ne m’attendais pas, j’ai senti monter une profonde tristesse, yeux mouillés. Oh peu de chose, mais suffisamment pour que je me sente dans une sorte d’osmose avec le milieu qui m’entourait. Je suis retournée chez moi en caressant au passage les autres arbres dont l’écorce était chaude de ce soleil propice au renouveau. Teddy qui m’accompagne parfois à proximité du jardin, volait d’arbre en arbre, me suivant, m’observant… et puis il s’est posé sur la table du jardin et il s’est mis à grossir comme une outre en gonflant son plumage. Il était si drôle que j’ai éclaté de rires. Mon cher Teddy… je te dis à demain…

 

12 commentaires sur “De larmes et de rires

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  1. moi aussi larmes aux yeux de te lire et rire plein la gorge en (re)voyant le ‘gros’ teddy 😉
    il y a quelques années quand j’ai découvert qu’un des grands noyers non loin de la maison avait été abattu, j’ai éclaté en sanglots non maîtrisables………….il me manque encore, va savoir pourquoi
    merci, Evy pour ce billet qui me comble à un point que tu ne peux imaginer
    gros bisous avant mon départ pour le travail 😉

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    1. C’est sympa ces gazouillis qui s’ajoute aux miens. Il y a aussi des geais et des pigeons ramiers dans les arbres près de la maison mais ils ne descendent jamais dans le jardin. Quant aux moineaux, j’en ai vus deux derrière la maison qui causaient haut et fort. Eux non plus ne viennent pas dans la bulle de Teddy.

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  2. Eh bien, quelle vie autour de cet arbuste ! Ces petites bouilles sont juste à craquer.
    Quand j’habitais à Léognan, ma propriétaire mettait elle aussi plein de boules dans les arbres, et des restes de nourriture au sol, j’ai passé des repas à observer du coin de l’oeil le manège des mésanges et rouge-gorges qui venaient picorer, un vrai régal. Je suis particulièrement tombée sous le charme des mésanges à longue queue, toujours en bandes affairées.
    Je trouve que ton texte décrit très bien ce petit ballet.

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    1. J’ai toujours du plaisir à voir débarquer les mésanges à longue queue que j’appelle les « petites fluffies » à cause de leur petite bouille ébouriffée qui leur donne un air très jeune.

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