Etat des liens

Une double vie est difficile à gérer, surtout quand la troisième en est le souffle même.

La sérénité, ce n’est pas près de toi que je la trouverai, Centaure, sous tes apparats fiers de déesse, tu te joues trop de moi en envoyant tes lianes roncières en travers de mes pas. Je tombe et la forêt s’amuse. Elle a raison, et doublement, puisque d’entendre chuinter votre joyeuseté, de bonne grâce je souris dans ma fuite boueuse et confuse. Mes hommages te sont bien suffisants, je l’admets et m’y plie, nous nous verrons de loin – au fait, je n’avais pas remarqué cette longue corde qui tient lieu de preuve que tu peux céder à la contrainte. Cette improbable corde, les photos que j’ai prises confirment sa présence depuis au moins deux ans, ma déesse. Ma beauté, loin de moi le désir de faire de toi une proie de l’humaine prétention à vouloir tout régir. Continuons notre jeu tel que tu en as édifié les règles. Tout me convient de vous, tant que je vous vois belle et fière dressée au coeur du bois.

La sérénité est peut-être au bord du chemin, à quelques enjambées de ma bulle d’amour. Cet arbre que j’eus l’audace d’effleurer, je dis l’audace puisque la crainte se cache souvent dans les gestes incertains soumis à mes volontés d’ouvrir des portes invisibles. Car je souhaite les passer ces seuils, quitte à en subir les conséquences, le pire serait bien le néant. Cher ami, ce que j’ai ressenti en posant mes mains sur ta peau rugueuse et froide creusée de cicatrices, a gravé une sensation durable sur le bout de mes doigts. N’avais-je jamais senti de la sorte la puissance d’un arbre ?  Et sans doute n’ai-je pas encore compris que le vacarme de ma pensée si cafouilleuse quand je me tiens devant toi n’est pas un obstacle, tu me donnes le temps de trouver la bonne clé. Les arbres ne sont jamais pressés et nous avons l’éternité. Ce week-end, la tempête m’a empêchée de te rendre visite. Je te voyais de la fenêtre dans la sous-pente, campé sur tes racines pendant que les autres oscillaient sous les déferlences bruyantes du terrible souffleur, ils brinquebalaient du houppier de droite de gauche comme des balanciers de métronomes marquant le  « vivace ». Mais toi, vieux capitaine qui semble avoir connu tant d’abordages des vents et de la pluie, vieil arbre outragé dans sa chair, toi, tu ne bronchais pas. Dans quelques jours, j’espère, à mon retour, nous ferons avancer nos secrets et ma sérénité… Un jour peut-être me diras-tu ton histoire en échange de la mienne. Nous mêlerons nos particules de vie, car il est un fait que nous ne pouvons nier, toi et moi nous sommes dans le même livre.

L’arbre croqué
« La connaissance est amour »*
Vogue le radeau au paradis de Cise

* « la connaissance est amour », Annick de Souzenelle, dans Le symbolisme du corps humain.

18 commentaires sur “Etat des liens

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  1. Je me disais l’autre jour que ça faisait longtemps que je n’avais rien lu de toi, je me suis sentie sourire en découvrant la poésie et la douceur de ce texte.
    « Les arbres ne sont jamais pressés et nous avons l’éternité. », oh oui 🙂

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    1. Merci pour tes mots, Cléa. De mon côté, je t’ai suivie sur ton blog, très discrètement, mais là quand même. Faire un break sur les blogs ne veut pas dire qu’on ne lit plus celles et ceux qui nous touchent. Bon, puisque j’ai l’air d’être revenue, je pourrais bien passer dans tes M.é.a.n.d.r.e.s d’ici peu.

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        1. Je finissais par donner dans la routine avec mon blog, et au final, je m’en étais dégoûtée. Ce fut peut-être une erreur d’avoir quitté l’autre bocal pour ouvrir celui-ci. Alors j’ai beaucoup partagé sur facebook, mais c’est tellement superficiel. Je ne voulais plus de blogs, juste avoir un site pour y ranger mes créations, et puis le temps a passé, c’est comme la mayonnaise quand on commence à faire monter l’envie, elle prend de la consistance.

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  2. Serrons-les dans nos bras, ces arbres hiératiques. Respiration, ancrage, renaissance, ce sont eux, les seigneurs des forêts qui nous ouvrent la voie.
    Bon, je suis lyrique après avoir lu ce beau texte. Et demain, j’irai saluer les frênes, les hêtres et les chênes de ta part.

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