Une partie scrabbleuse

C’était une soirée d’hiver qui s’annonçait paisible et douillette, un bon livre entre les mains, le feu m’endormirait sur le divan. L’idéal pour attraper les rêves. Je terminais de fixer mon appareil photo sur le trépied afin d’être prête pour les macrophotos du lendemain, lorsqu’elles sont arrivées, quatre d’entre elles du moins, apparues subitement d’une pensée fugace,  d’une présence manquante peut-être, Céline Héloise Sophia Béatrice. Venues pour moi, à ce qu’elles ont précisé, ce qui ne m’arrangeait pas, une petite place à mes côtés, dussé-je chiffonner mes projets du soir. L’idée de capturer l’invisible ne tarderait pas à m’émoustiller. Je résistais, mais mon air dépité qui dit non qui dit oui les fit pouffer de rire. Je leur proposai de s’installer confortablement au bord du feu dompté et bienveillant, les encourageant à m’attendre autour d’une partie de scrabble.

Il leur fallut une trentaine de minutes avant que le joyeux chaos ne s’en mêle. Feu, flammes, crépitements, les mots s’étourdissant entre leurs éclats de rire et chuchotements inaudibles, je sentais que le vent tournait et que nous allions subir une petite perturbation.

Il n’était plus question pour moi de passer de leur côté et de me laisser enfermer dans leur joyeux délire. Trouble-fêtes, elles m’auraient liée à quelque tuteur improvisé dont je n’aurais pu me défaire avant la fin de la nuit. Je restais à distance et observais comme à travers un écran infranchissable leur façon de faire tourner les mots, d’en extraire des sens cachés, jouer à les croquer pour en diluer le rythme, une vraie cavalcade menée par une farandole d’aberrations qui, comme toujours, me mettaient en état d’ivresse et ne me faisaient plus rien maitriser. Bref, un bazar tourbillonnant, un antre en turgescence, un envoûtement du temps qui se défendait comme il pouvait pour garder ses convictions. Nous dérivions sur le vertige de l’implosion jusqu’à ce qu’elles se dédoublent et redeviennent errances fantomatiques. Elles disparurent alors que les murs rugissaient d’un long frissonnement grinçant.

Ce saisissement intense, sésame de sortie de piste.

Je me retrouvais seule, quelques traces de mots résiduelles abandonnées comme un jeu de piste, un fil d’Ariane déroulé qu’il suffirait de suivre pour nous réunifier. Mais ce soir, je me sentais légère et n’avais aucune intention de m’appesantir sur cette débauche d’énergie, le feu s’était éteint, je montai l’escalier et allai me coucher.

(la série d’autoportraits a été commise en décembre 2016 – trouverez-vous le détail qui change d’une image à l’autre ?)

24 commentaires sur “Une partie scrabbleuse

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  1. Le tableau qui change à chaque image !
    Ces autoportraits sont réussis et intriguants, avec la baisse d’intensité lorsqu’elles deviennent « fantomatiques »…
    J’aime la conclusion si simple et si « banale » qui nous fait revenir dans la réalité d’un seul coup.

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    1. Bravo et merci d’avoir regardé, quand on le sait c’est visible comme le nez au milieu du visage, mais lorsqu’on l’ignore, on ne s’en aperçoit pas toujours (j’ai fait l’essai hier avec deux personnes), le « mouvement » des personnages absorbe toute l’attention, je crois.

      Aimé par 2 personnes

  2. Plutôt (quant à moi) : quand on nous a prévenu qu’il fallait chercher, on trouve vite, mais si on en nous l’avait pas dit, c’aurait été une autre paire de manches…

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    1. Aurais-tu pensé à regarder le plateau du scrabble si je n’avais pas dit qu’il y avait quelque chose à trouver d’image en image. Sûr que c’est un truc que j’ai manqué, le petit détail qui aurait été amusant, il faudra que j’y pense une prochaine fois. Pour cette fois on dira qu’elles ont fait semblant de jouer au scrabble, ne pas oublier que le temps a été perturbé.
      Héloïse est une romantique mélancolique, elle est plutôt celle qui se tient près du feu, les deux à côté fauteuil sont Céline et Sophia, Béatrice est donc celle qui tient le jeu. Mais peu importe, il est fort possible qu’elles aient changé de place durant la partie.

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      1. Bien sûr ! Ce sont tes propos qui m’ont conduit à chercher, et donc à trouver.

        Ah ? Béatrice ? En es-tu sûre ? C’est pourtant la seule qui ait les cheveux dénoués dans la deuxième image quand ses amies ont chignon, nœud ou barrette. Elle emporte les autres dans sa façon d’être. Mais va pour Béatrice !

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        1. Ah mais je ne suis sûre de rien. Ce sont justement ses cheveux dénoués qui me feraient pencher pour Béatrice, mais comment en être sûre ? J’ai très rarement raison en ce qui les concerne.

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  3. Je me souviens d’un lieu comme d’autant d’errances. Je n’suis jamais tout à fait seule puisque je reste là. Je me dérive, je me fantôme, je me dilue, et je m’emmêle. Le temps est inaudible. La présence aussi. Et encore plus, peut-être, quand elle farandole et se fait belle et chuchotante.
    Et puis le cadre, bien sûr, comment pourrait-il même jamais rester le même?

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  4. hihihi, ce qui change, ce sont tes tableaux à côté de la fenêtre où d’ailleurs se reflète ton trépied 🙂
    que c’est bon de te lire tout en regardant tes errances qui m’enchantent……….des bisous de merci, Evy

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