« Un jour, ils sont là. Un jour, sans aucun souci de l’heure. On ne sait pas d’où ils viennent, ni pourquoi ni comment ils sont entrés. Ils entrent toujours ainsi, à l’improviste et par effraction. Et cela sans faire de bruit, sans dégâts apparents. Ils ont une stupéfiante discrétion de passe-muraille. Ils : les personnages. »
Cette citation de Sylvie Germain, tirée de son livre Les personnages est une bonne introduction à cet article. Parce que je vais vous parler aujourd’hui de certains de ces personnages qui m’ont rendu visite, et qui ont décidé de rester auprès de moi. Discrets, mais tellement présents.
Céline est apparue pour équilibrer la balance des émotions qu’Héloïse faisait dangereusement pencher vers le bas. Céline, c’était le regard, la sagesse, la détachée, je ne me souviens pas qu’Héloïse ait encore attenté à sa vie lorsque Céline est arrivée. Donc, la première, ce fut Héloïse, débarquée chez moi en mourant, plusieurs fois, de désespoir d’amour, combien de Tristan a-t-elle perdus ? On aurait dit qu’elle y prenait plaisir. Chacun son truc. Mais moi, ça me fichait le bourdon tous ces empoisonnements à la suite, même si c’était son rôle : mourir d’amour. Céline s’est présentée comme un courant d’air frais, elle est venue tout chambouler avec son intemporalité, ses couleurs, sa joie, son amour de l’autre généralisé, et son indifférence à la mélancolie latente d’Héloïse. Je ne cache pas qu’il a fallu que je m’adapte à leurs scènes, Céline est devenue plus humaine et Héloïse plus combattante, moins férue de désespoir. Ces deux-là sont comme de délicieux fantômes, elles hantent ma mémoire, mon présent, silencieusement, mais je sais qu’elles sont là. Leurs traces sont gardées précieusement, secrètement.
Puis est arrivée Jodhra. Nous l’avons trouvée dans un endroit très sombre, une petite poupée (fille) blottie contre un mur, dans un monde en ruine (ses premiers pas datent de 2002 ou peut-être même un peu avant). Jodhra a grandi au fil des années, beaucoup, jusqu’à devenir un territoire à elle toute seule, un labyrinthe, une profondeur, un sanctuaire. Jodhra est un trou noir qui absorbe non pas la lumière mais l’obscurité, une buveuse d’ombre, elle est devenue celle qui comble la part manquante de mon univers, une petite luciole qui a appris à sourire.
Sophia. Son rôle a toujours été d’écrire, de créer, d’inventer. Des hommes, elles dessinent des hommes avec ses lettres. En 2005, elle imaginait un blog dont le titre devait être « Ce serait trop facile que ça se passe ainsi » (franchement quel titre à dormir dehors !) … non, le souvenir que j’en ai n’est pas tout à fait celui qui correspond aux écrits de cette époque. Des choses se mettaient en place, il y avait un choeur qui déclamait (hé oui, on avait les moyens) : « ils tournent en rond comme un poisson rouge dans son bocal »… je crois que tout est partie de là. D’un coup Sophia est apparue quand ces mots se sont écrits : « elle écrasa sa cigarette à moitié fumée », elle venait de terminer la rédaction d’un manuscrit « Quand déciderons-nous d’aller vivre avec les poissons rouges ? » Le personnage du roman s’échappe et crée un blog. De là, une disparition, et donc des enquêteurs. Ça risquait fort de tourner à l’eau de boudin surréaliste. Sophia boit comme un trou, et pas que de l’eau. Sophia veut aussi être l’homme qu’elle crée, même si elle ne le dit jamais. C’était une histoire très compliquée en treize chapitres courts, et ça se terminait par « ainsi font font font les petites marionnettes ». Un très bref aperçu du chapitre 3 (qui reprend un bout du manuscrit de Sophia) sur le bocal.
Ensuite, la fille aux cubes, elle reste un mystère, elle est arrivé un jour à Bonomeville (on la voit à gauche sur le dessin de Bonomeville), un monde perpendiculaire à celui de Jodhra qui, je crois, l’a absorbé. Elle réapparait parfois, comme ici (amusez-vous à cliquer rapidement sur la flèche de droite pour animer le tout). La fille aux cubes va et vient à son gré, en totale liberté. Elle aurait pu n’être que de passage mais puisqu’elle revient en jonglant avec ses cubes, on lui garde toujours une place parmi nous. Sur l’image de groupe, on ne voit que ses cubes et une partie de sa main. Un mystère qu’elle entretient.
Et puis, il y a un peu plus d’un an est arrivée Béatrice, les bien pensants diront qu’elle n’est pas très recommandable, poupée de chair qui se laisse manipuler pour le plaisir. C’est qu’elle les aime les hommes, notre Béatrice. J’avais commencé son histoire sur le bocal, elle l’a continuée sans moi, mais un jour elle reviendra nous raconter. Promis, m’a-t-elle dit.
Et enfin, Loretta, ma ‘compagne’ du moment. Enfin quand elle se montre. Loretta, c’est le départ, le renouveau, elle a tout quitté pour faire la vie comme elle la ressent. Loretta, c’est une quête, un chemin de traverse, une petite perle dont je prends grand soin, dont nous prenons toutes grand soin parce qu’elle est la petite dernière mais aussi parce que nous attendons beaucoup d’elle. Une ébauche de ses aventures se décline sur cette page.
Beaucoup d’autres personnages ont traversé ma vie, mes mots, mes envies d’écrire, mais ceux-ci, celles-là, c’est différent, elles sont devenues bien plus que des personnages. Des amies, des soeurs. Des bouts de moi que je n’ai pas envie de recoller mais de laisser voguer au gré d’un souffle pluriel. Et je préfère penser que c’est peut-être moi qui suis leur création, une sorte de bouchot planté dans les sables sur lequel elles s’accrochent pour se gorger de vie.
Je termine sur un portrait de groupe, qui était d’ailleurs l’objet de ce nouvel article, elles à la pose, moi aux crayons. Et dire aussi que tout continue… et…
… je viens de retrouver deux textes sur le bocal, écrits en juin 2015 :
Et si vous essayez de réunifier tout cela en une seule personne, riche de toute ces richesses éparpillées dans divers personnages dont chacun est probablement appauvri de l’absence des autres ?
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Ce personnage risquerait de souffrir de solitude. En dehors de ces « richesses » chacun a son caractère, ce qui est une richesse supplémentaire qui est la différence entre les uns et les autres, le rapport des uns aux autres. A plusieurs on voit plus loin. Et puis, moi, j’ai besoin de cette pluralité. En même temps, ce personnage existe, il est « elles ».
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Être magicienne ou ne pas l’être.
Nos sables mouvants où s’enlise dix mille jours l’espoir en la beauté du monde et d’où émergent dix mille encore la force et le désir de vivre. Les doigts multiples de l’âme dans la symphonie des jours.
Ne rien changer à rien. Laisser venir. Et voir.
Entre pleurer et rire.
To be or not to be.
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Se confier au courant avec confiance.
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Expliquer la multiplicité d’une unicité, joli essai qui semble ne jamais devoir finir, condamné par essence tant qu’il y a vie et respiration, tant qu’il y a écriture et imagination, non ?
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C’est tout à fait exact.
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Cette réflexion sur les personnages est passionnante, des bouts de vie à la fois indépendants et reliés ensembles par l’auteur. J’allais écrire que je n’ai pas suffisamment de recul sur mes propres écrits pour faire de même, mais finalement c’est peut-être simplement que je n’ai jamais pris le temps de la réflexion. Et il serait intéressant que je l’ai, d’ailleurs.
Très joli dessin, j’aime beaucoup le fait qu’on ait d’abord une vue d’ensemble, puis que petit à petit les détails nous apparaissent…
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Je reviens toujours dessus, je leur tourne autour comme elles autour de moi. Elle sont pour moi un peu (et même beaucoup) comme l’oeuvre de ma vie. Alors je construis encore et encore autour d’elles. Tu sentiras si tu éprouves le besoin de relier tes écrits, pour le moment, je t’imagine davantage les multiplier, non ?
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Autoportraits de femmilles.
Merci d’avoir relié les fils!
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« femmilles », tout à fait ça.
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Que d’idées ! Tu en débordes ! Je trouve également super le détail de la vie de chacune des filles et j’ai cliqué sur la photo « progressive » (ici) que j’ai adorée ! Pourquoi tellement d’année pour conclure ce dessin ?
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Rien n’est jamais conclu, tout recommence toujours.
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ah ouf, je peux enfin ‘liker’ ce billet! je l’avais lu depuis ma boîte mail mais impossible de l’ouvrir sur ton site car ça me disait qu’il était protégé par un mot de passe…..
j’aime beaucoup ta galerie de portraits de ces femmes et ça m’a permis de retourner dans tes anciens billets…….un régal! merci Evy pour toutes ces femmes qui vivent grâce à tes mains
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Je sais, j’ai cafouillé. J’avais d’abord mis l’article en public, puis j’ai eu des gros doutes… parce que c’est un sujet qui me tient vraiment à coeur et que je n’étais pas certaine de l’avoir bien abordé, écrit… ça remuait à l’intérieur, alors je l’ai d’abord mis en privé, puis protégé avec un mot de passe… les nuits portant conseils et les conseils d’amie aidant aussi, je l’ai remis en mode public. Tu sais tout 🙂 et je te remercie beaucoup pour ton commentaire, il me conforte dans ma décision de le faire lire librement.
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… et aussi de ta persévérance à revenir, chère malyloup.
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un petit bout de toi dans chacune d’elle, l’écrivain(e) ne met-il pas un peu de lui-même dans chacun de ses personnages? Ce puzzle de ta femmille est d’une richesse extraordinaire.
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Oh merci pour ce beau compliment. Des petits bouts de moi, c’est certain.
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